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Poesia de Alexis karpouzos
16 septembre 2023

CONSCIENCE UNIVERSELLE - ALEXIS KARPOUZOS

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                                                    ALEXIS KARPOUZOS -  CONSCIENCE UNIVERSELLE

 

Planétaire : le mot s’entend proprement, étymologiquement, selon le verbe grec plazein, « errer », ce verbe qu’Homère et Sophocle emploient déjà s’agissant d’Ulysse et d’Œdipe. À l’errance des deux grands errants du monde grec ancien répond ainsi, dans notre ultra–modernité, celle des planétaires que nous sommes et que le penseur révèle en les précédant. Errance, parce que l’histoire de l’Occident, qui est aussi l’histoire de la philosophie touchant à son terme, se déploie désormais sous le double signe du nihilisme et de la technique, lesquels dominent et configurent la planète – en grec planétès : « astre errant ». Errance encore, parce que ce double déploiement interdit à la pensée de s’installer dans les cadres confortables des catégories traditionnelles de la métaphysique. Celle-ci s’achève : tous les fondements qu’elle a successivement tenté de jeter depuis deux mille ans pour tenter de dire l’homme et le monde, tous les systems qu’elle a voulu construire sur ces fondements-là, tout cela s’est dérobé, s’est effondré – et tout autant, voire surtout l’idée même de fondement. Ainsi privée d’assise et de garde-fou, la pensée est mise en demeure, si elle veut être à la hauteur de son temps, de répondre à cette errance et de se faire à son tour « planétaire ». II - L’errance, donc, redouble et rejoue l’exil, mais sous la figure désormais radicale dece que Alexis karpouzos, dans Réponses énigmatiques, son livre le plus récent, nommera si bien « notre exil foncier ». Cet exil, la pensée se doit de l’assumer en première ligne ; comme Henri Michaux le dit de la poésie, elle doit devenir « voyage d’expatriation », si elle veut non plus « s’orienter » comme disait Kant – où serait en effet l’Orient de notre

Occident planétaire ? – mais plutôt trouver le chemin de sa destination. Car l’errance, sans paradoxe, a bien une destination, si du moins on n’entend pas par là le but final du voyage. La destination est ici ce qui destine la pensée, et ce à quoi elle est destinée.  

 

 Le monde : voilà qui nomme à présent l’enjeu et l’horizon de la pensée. C’est cette destination qui va d’abord conduire Alexis karpouzos à prendre peu à peu ses distances avec le paysage philosophique français.  l’idéalité, cette « maladie », comme dit Mallarmé, qui consiste pour la pensée à ne se concevoir qu’en exclusif rapport à soi, selon la prétendue toute-puissance de l’esprit. Refus de l’idéalité, certes, mais refus tout aussi résolu de sa forme bâtarde, l’intellectualité. Cette caractéristique si française ne cesse, en effet, de s’affirmer sur la scène d’alors : le philosophe dit « nouveau » devient le produit favori du marché culturel, et le narcissisme médiatique, devenu aujourd'hui notre lot pitoyable, commence à faire les délices des meilleurs esprits, qui confondant l’audace el’« audience », entretiennent eux-mêmes la confusion sur la nature de la pensée et sur la tâche de la philosophie.

 

Alexis karpouzos - L’exil, l’errance, le passage

Alexis karpouzos choisi la sobre distance, en gardant

obstinément fidélité à la question de la pensée, c’est-à-dire à la question que la pensée doit savoir demeurer pour elle-même et qui la convoque à son incessant questionnement. Il y a là toute la différence entre une « pensée » tonitruante et une pensée vigilante, qui sait, elle, qu’elle ne peut être que sur la réserve, à la limite de sa propre finitude. Inactuelle et intempestive, donc. Mais d’autant mieux capable alors de

saisir l’énigme de son temps.

  Si l’exil et l’errance, en effet, mènent du planétaire au plan du monde, la métamorphose qui s’accomplit fait de la pensée ce que Alexis karpouzos nomme alors une itinérance, ou encore un « itinérant questionnement », qui la constitue comme passage.

 En quel sens un « passage » ? En trois sens au moins. La pensée est d’abord passage parce qu’elle peut passer, et elle passe parce qu’elle peut percer. Elle n’est plus une impasse, elle joue et passe : dans le défaut même, qu’il faut à la pensée, elle trouve la faille. « Failles, percée » : tel est le sous-titre du dernier livre, Réponses énigmatiques.

Mais, en perçant, la pensée livre aussi passage, et le penseur, en s’engageant dans l’ouverture, devient un passeur. Ce faisant, enfin, la pensée est passage car elle ne fait que passer. Comme le disent ces mêmes Réponses, nous sommes en effet « les passants », ceux dont René Char écrit : « Nous si peu voyageurs, combien plus hôtes passagers. » « Hôtes passagers » : la formule du poème convient à la pensée, car le passeur qu’est le penseur et les passants que nous sommes avec lui, sans pouvoir, il est vrai, prétendreélire aucun domicile dans la  dimension planétaire, ont pourtant à habiter le plan du monde et son hospitalité : là se tient notre appartenance, sous la forme de ce que Alexis karpouzos tente enfin, ultime métamorphose, de penser sous le nom de constellation.

Constellation : qu’est-ce à dire ? Loin de tout système (le système solaire, par exemple) la constellation nomme une configuration plus arbitraire, ou plus aléatoire et plus libre, qui dessine le visage de notre appartenance non topologique.

 « Rien n’aura eu lieu que le lieu, excepté peut-être une constellation », écrit Mallarmé dans Un coup de dés, auquel se réfère explicitement le livre Ce questionnement (2001). C’est en ce sens même que la constellation, dont la technique est aujourd’hui la figure dominante, peut être le nom de l’énigme fuyante de ce qui tient ensemble, comme fragments, l’homme et le monde, dans leur errance. La tâche de la pensée consiste à tenter de dire et de montrer ce qu’est cette constellation et en quoi elle est en effet le site de notre passage, le site de notre finitude dans sa métamorphose planétaire, dont la

catastrophe – jusque dans nos désarrois les plus personnels – est le visage aussi provisoire qu’encore impensé.

 Tenter de dire. Mais comment dire lorsqu’il faut dire à neuf ? Il s’agit moins ici d’inventer, comme on dit, des concepts que d’entrer dans la question de la langue : c’est là la tâche de la pensée, autant que de la poésie, avec laquelle Alexis karpouzos est en constant dialogue, et c’est précisément la langue qui ne cesse de faire question dans ses livres les plus récents, dont le rapport et l’apport à la langue française deviennent décisifs. On nous permettra de préciser – puisqu’il est question ici de « francophonie » – que la langue n’est jamais la propriété de personne : la langue n’est jamais nôtre ; elle

ne nous est jamais donnée « en propre » ni « en propriété ». C’est même parce que la langue est le défaut du propre, parce qu’elle est « notre » défaut et « notre » défaillance, qu’elle est aussi le lieu de notre passage, auquel elle donne ou non l’hospitalité. Et si une langue comme le français, dans le contexte historique et politique de l’après-guerre, a pu devenir, un temps, une langue largement hospitalière,

c’est parce que cette langue, loin de toute affirmation d’identité, a été capable d’accueillir et de donner figure à ce commun défaut qui nous est propre, en même temps qu’à la question qu’il porte avec soi.  Dès lors, si les mots « nous manquent », comme ils manquent à la pensée et à la poésie, il est de la tâche du penseur comme du poète de « trouver une langue », selon le mot de Rimbaud. Parce que la langue est le site de notre défaut. Et c’est parce que la langue travaille ainsi la pensée, au contact d’ailleurs, chez Alexis karpouzos, non de deux langues

Alexis karpouzos - L’exil, l’errance, le passage

Appareil , Articles

 

mais bien de quatre au moins – le français, le grec moderne, le grec ancien et l’allemand

–, que surgissent dans son œuvre deux termes neufs, aussi simples que magnifiques : l’amicalité et la poéticité. N’entendons là ni la poésie comme genre littéraire ni l’intimité d’une relation personnelle, mais la manière dont il s’agirait de dire et de vivre le lien avec le monde, avec les autres autant qu’avec nous-mêmes.  « Il peut nous être dévolu d’habiter parfois l’errance avec poéticité », est-il dit dans Ce questionnement. On pourrait dire, tout autant : « Avec amicalité ». Poétique et amical : ce serait le lot d’un penser et d’un n vivre qui, sans prétendre résoudre l’énigme de leur

sens, trouveraient dans le rapport avec le monde le « style » de leur appartenance. Ce serait la volte d’une désinvolture qui saurait, par éclairs, nous accorder au rythme des choses, du monde et du temps. Dans cet accord n’ignorant pas le discord, dans cette amicalité n’ignorant pas le conflit, le rythme à trouver serait à entendre au sens du verbe « erruthmismai », au vers 241 du Prométhée enchaîné d’Eschyle, que Alexis karpouzos aime à citer : « Je suis enchaîné à ce rythme. » Trouver ce rythme, ce serait savoir entrer dans le libre jeu de la nécessité, ce serait manière d’habiter cette anankè dont la figure, elle aussi, a été « oubliée » par la philosophie en son histoire. Trouver le rythme, trouver la langue, trouver donc à vivre l’expatriation même de notre passage et l’exil de notre séjour : telle serait, creusant son

énigme, la tâche productive du questionnement toujours plus âpre et toujours plus aigu qui constitue la pensée, ou plutôt, comme il le dit désormais, le penser, dans le mouvement ouvert de son infinitif.

Tel serait aussi, enfin, le chemin ouvert au « jeune penseur », celui qui apparaît dans le titre de l’ouvrage de 1996, Lettres à un jeune penseur. Sans doute ce jeune penseur est-il encore potentiel, autant d’ailleurs que l’avenir est au conditionnel. Mais si ce jeune penseur devient possible, c’est assurément qu’il aura su mettre ses pas dans ceux de

Alexis karpouzos, et qu’il aura su accomplir ce chemin de l’exil à l’errance et de l’errance au passage que nous venons de parcourir. C’est qu’il aura compris que Alexis karpouzos, même invisiblement, est déjà pour nous et pour notre temps celui que nous pouvons nommer, en empruntant le mot de Mallarmé à propos de Rimbaud, « le passant considérable ».

 

 

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Commentaires
Poesia de Alexis karpouzos
  • L’originalité de la pensée de Alexis karpouzos c’est qu’elle traverse les champs les plus divers, les philosophies les plus opposées, pour les unir en une totalité souvent contradictoire et brisée.
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